Imaginez…Par une belle journée d’automne, vous vous promenez en forêt avec le club de marche dont vous êtes nouveau membre. En arrivant à la lisière, à 150 mètres d’un commissariat, vous trouvez un billet de 500 euros par terre et les autres l’ont vu. Que faites-vous ? Vous vous rendez au commissariat ou vous proposez de partager la somme ?
Imaginez encore. Vous êtes seul en forêt, personne ne vous regarde, et vous trouvez le billet de 500 euros dans les mêmes conditions. Que faites-vous ?
Une dernière variation : vous vous promenez avec un ami qui gère un snack et vous raconte ses graves difficultés financières suite à la période Covid. Vous trouvez le billet…Ai-je besoin de vous poser la question ?
Nous croyons volontiers que nos choix moraux sont le résultat d'un long processus rationnel et analytique mais la recherche montre qu’ils se prennent, dans la plupart des cas, de manière purement intuitive et inconsciente. Ce n’est que par après que nous les justifions par des arguments et une rationalisation élaborée.
De nombreuses expériences en psychologie morale ont pu démontrer que, comme dans notre exemple du billet, nos décisions éthiques sont à géométrie variable et que nous activons, selon les circonstances, une ou plusieurs ‘dimensions morales’ parmi les 6 qui ont été identifiées par le chercheur Jonathan Haidt et résumées dans son excellent livre ‘ The Righteous Mind’. Haidt montre que nous activons des dimensions différentes selon notre orientation politique (conservateur-progressiste) mais également en fonction de notre appartenance culturelle (individualiste-collectiviste). Ces six dimensions nous permettent dès lors de comprendre pourquoi les jugements moraux sont si variables et, partant, les points de vue parfois carrément irréconciliables.
Les dimensions vont de l’autorité à la subversion, de la loyauté à la trahison, de la liberté à l’oppression, de la sanctification à la dégradation, du soin au mal et enfin de l’équité à la tricherie.
Dans les entreprises et les organisations, les leaders sont régulièrement confrontés à des situations du type ‘billet de banque’, pour lesquelles on ne trouve de réponse claire ni dans le code déontologique (lorsqu’il y en a un), ni dans les valeurs affichées qui, quoique nécessaires, sont souvent trop générales et interprétables pour pouvoir trancher.
C’est dans ces ‘zones grises’ où l’aspect humain joue un rôle prépondérant que les leaders doivent naviguer, souvent sans cap et sans boussole autres que leurs propres émotions et convictions ; ceci les rend particulièrement vulnérables à une série de biais cognitifs comme par exemple : l’auto-justification (« Puisque je le sens c’est que c’est juste » - C.Travis & T.Aronson), la pression du groupe (« Puisque tout le monde semble d’accord c’est probablement vrai » - S. Asch), ou encore la soumission à l’autorité (« Si mon/ma chef ou la direction le dit, je n’ai pas à le questionner - S.Migram)
Les leaders doivent donc être accompagnés, voire formés, à la prise de décision éthique afin pouvoir faire face à tous les cas de dilemme moral qu’ils soient interpersonnels (Discrimination, harcèlement, manipulation…) ou plus large (fraude, conflits d’intérêt, maquilllage de chiffres…)
« Les conditions d’un leadership intègre ? L’exemplarité, l’honnêteté/humilité et de bons outils de prise de décisions éthiques. »
Jonathan Fox
On se demande souvent avec effarement, a posteriori, comment des situations de fraude, de harcèlement, etc. n’ont pas été rapportées et rendues publiques plus tôt ; l’explication est souvent à trouver dans la culture de leadership de l’organisation.
Des environnements de leadership directifs et autoritaires basés sur la compétition interne, la communication opaque et les sanctions voilées, vont favoriser des réactions basées sur la peur et la fuite, la dissimulation, la sur-adaptation à l’autorité et le repli ; à terme cela génère une culture de l’entre-soi, d’estompement de la norme voire de l’omerta.
Le leadership intègre, loin d’être une mode passagère, doit donc être promu et activement soutenu par le management.
Il s’agit de favoriser cette fameuse ‘speak-up’ culture, liée à la sécurité psychologique et qui se résume par : « On attend de moi que je m’exprime et je ne dois pas craindre qu’on me plante un couteau dans le dos si je signale un dysfonctionnement ».
Pour y arriver certaines conditions sont absolument nécessaires :
- Tout d’abord l’exemplarité de tous ceux qui ont une position de leadership. Rien de pire que de voir son chef enfreindre la loi qu’il est supposé faire appliquer.
- Ensuite, l’engagement (on-boarding) des nouveaux leaders doit être en partie basé sur leur degré d’honnêteté-humilité, un trait de personnalité pour lequel nous n’avons pas tous les mêmes dispositions.
Les leaders devront disposer de méthodes claires et d’outils de prise de décision éthiques (il en existe de scientifiquement établies) qui leur permettront de passer en revue les six dimensions évoquées lors d’une décision éthique.
L’intégrité n’est pas quelque chose qu’on acquiert une fois pour toutes ; cela s’entretient et s’érode si on ne le fait pas. Il convient donc d’organiser régulièrement et à tous niveaux des ateliers autour de la notion d’intégrité, au cours desquels un partage d’expériences et de notions plus théoriques peut avoir lieu.
Certaines organisations mettent également en place une cellule d’écoute, spécifiquement dédiée destinée à recueillir, en toute confidentialité, la parole des potentiels sonneurs/es d’alerte.
« Si on met le chat près du lait on cherche les problèmes ». Certaines personnes ou fonctions sont plus proches de potentielles tentations qu’elles soient financières ou autres. Elles devront être particulièrement sensibilisées, notamment en s’assurant qu’elles ne doivent jamais prendre de décisions seules, mais toujours en respectant le principe de ’six yeux’ c’est à dire minimum 3 personnes n’ayant pas les mêmes intérêts.
Jonathan Fox